Avoir un avis sur la guerre au Yémen, le dernier stratagème fiscal ou la finalité de l’art contemporain : l’ultracrépidarianisme, ce réflexe de parler de sujets que l’on ne maîtrise pas, est devenu presque universel. Avant de juger les autres, jetons un œil sur nos propres réflexes de bavards invétérés.
L’intuition : moteur de nos décisions quotidiennes
Chaque matin, nous procédons à des milliers de micro-décisions sans y consacrer un gramme d’analyse : croquer un croissant avant le café, ne pas plonger ses doigts mouillés dans une prise ou ralentir quand le feu passe au jaune. Ces choix reposent sur une intuition façonnée par nos expériences, souvent remontant à l’enfance. Je me souviens d’un ami qui jurait que sa vieille voiture ne tomberait jamais en panne… jusqu’à ce qu’elle le refuse au milieu d’un désert de Provence. Son jugement « instinctif » l’avait trahi ; la mécanique, elle, ne pardonne pas l’approximation.
L’expertise face à la confiance excessive
Le principal piège de l’ultracrépidarianiste, c’est de croire que son opinion vaut celle d’un spécialiste. Imaginez un touriste qui prétendrait enseigner les techniques de dégagement à un pompier de Paris : risible, n’est-ce pas ? Pourtant, face à un consensus médical ou à une méta-analyse scientifique, beaucoup pensent pouvoir contredire les experts au simple titre de leur « bon sens ». Selon l’Académie des sciences, cette attitude peut nuire à la prise de décision collective et retarder la mise en œuvre de politiques publiques efficaces.
Science et pédagogie : un fossé à combler
Dans nos écoles, l’apprentissage des sciences se réduit souvent à l’énumération de faits dans un manuel. Rarement on y explique pourquoi Newton a formulé sa loi de la gravitation ou comment Popper a établi la méthode scientifique basée sur la réfutabilité. Résultat : les élèves retiennent des listes de savoirs sans percevoir la démarche critique qui les sous-tend. Face à une vidéo de vulgarisation sensationnaliste, ils manqueront du recul nécessaire pour distinguer analogie et vérité.
Accepter ses limites pour mieux dialoguer
Admettre humblement : « Je ne maîtrise pas ce domaine » est un premier pas vers un débat apaisé. Un expert gagne en crédibilité quand il assume ne pas pouvoir expliquer un concept en deux minutes, tandis qu’un non-spécialiste n’est pas diminué s’il avoue son ignorance. Cette humilité permet d’éviter l’éternel tour de passe-passe où chacun campe sur ses opinions, et ouvre la voie à un échange fondé sur la curiosité plutôt que sur la domination verbale.

