Quand les fleuves dévoilent leur lit, ce ne sont pas que des cailloux qui émergent, mais parfois des messages du passé, gravés à même la roche. Dans plusieurs régions d’Europe, la baisse inquiétante du niveau des cours d’eau révèle à nouveau ces mystérieuses “pierres de la faim”. Et leur réapparition n’a rien d’anodin.
Si tu me vois, pleure…
Sur les rives de l’Elbe, à Děčín en République tchèque, une inscription gravée en 1616 sur un bloc rocheux a resurgi cet été : « Si tu me vois, alors pleure ». Ces mots, taillés il y a plus de 400 ans, sonnent comme une alerte hydrique venue d’un autre temps. On y retrouve aussi des dates gravées, allant de 1417 à 1893, marquant autant d’épisodes de sécheresse historique.
Ces pierres, aujourd’hui exposées au soleil, servaient autrefois d’indicateurs hydrauliques : si elles étaient visibles, cela signifiait que le niveau de l’eau était dangereusement bas. Et qui dit faible débit, dit récoltes compromises, faim, et parfois exode rural. Des périodes où chaque goutte comptait, littéralement.
Huiveringwekkend. Door de droogte in Europese rivieren komen er Hungersteine bovendrijven. Macabere waarschuwingen van onze 15e eeuwse voorouders over hongersnood.
‘Wenn du mich siehst, dann weine’https://t.co/kbo03caaZX pic.twitter.com/CMTcMvfQQp
— Olaf Koens (@obk) August 11, 2022
Des marqueurs ancestraux qui ressurgissent trop souvent
En 2018 déjà, une sécheresse sévère avait mis à nu une douzaine de ces pierres le long de l’Elbe. L’une d’elles, particulièrement célèbre, était devenue une attraction touristique malgré le symbole tragique qu’elle représente. Cette année encore, les conditions climatiques extrêmes ont refait apparaître ces témoins du passé… qui pourraient bien devenir des signes précurseurs de l’avenir.
Andrea Toreti, du Centre commun de recherche de la Commission européenne, n’a pas mâché ses mots : « Ce que nous vivons pourrait être la pire sécheresse depuis cinq siècles. » Avec une analyse toujours en cours, il laisse entendre que l’épisode de 2022 pourrait dépasser celui de 2018 en intensité. Une tendance confirmée par l’Observatoire européen de la sécheresse, qui signale qu’environ 47 % du continent est en situation critique, avec des sols anormalement secs.
Recent droughts in Europe once again made visible the « Hunger Stones » in some Czech and German rivers. These stones were used to mark desperately low river levels that would forecast famines. This one, in Elbe river, is from 1616 and says: « If you see me, cry »#archaeohistories pic.twitter.com/rkPDVw7uPx
— ArchaeoHistories (@histories_arch) August 14, 2022
Une Europe qui s’assèche… et se dévoile
Ce ne sont pas seulement les “pierres de la faim” qui réapparaissent. Partout en Europe, la chute du niveau des rivières et des fleuves fait surgir des trésors archéologiques, des épaves oubliées, et parfois même des bombes de la Seconde Guerre mondiale, comme cela a été le cas dans le Pô italien. Des souvenirs enfouis, mais aussi des signaux que le climat change plus vite que nos modes de vie.
Ces découvertes inattendues dessinent une cartographie inquiétante du sous-sol européen. Là où l’eau ne coule plus, c’est l’histoire – et parfois le danger – qui refait surface. Les impacts du réchauffement climatique, loin d’être théoriques, s’inscrivent dans la roche et dans nos paysages.
Un passé gravé, un futur à écrire
Ces pierres, au-delà de leur portée symbolique, nous rappellent que les grandes sécheresses ne sont pas nouvelles, mais qu’elles se produisaient autrefois tous les 50 ou 100 ans. Aujourd’hui, elles s’enchaînent tous les 4 ou 5 ans. Le problème n’est pas qu’elles reviennent, mais qu’elles reviennent trop souvent, dans un monde plus peuplé, plus vulnérable, et plus dépendant de l’eau.
Voir une “pierre de la faim”, c’est lire un avertissement gravé à même le sol, transmis de génération en génération. Et si ces mots anciens nous invitent à pleurer, c’est surtout pour nous pousser à agir, tant qu’il reste de l’eau pour le faire.

